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Publié : 19 juillet 2016

Patrimoine architectural de l’Unesco

Le Corbusier : un désir d’utopie

Architecte, peintre, théoricien et écrivain suisse, Charles Jeanneret, dit Le Corbusier (1887–1965) est célébré par certains comme le plus grand architecte du XXe siècle et par d’autres comme l’architecte de l’utopie sociale dans la tradition de Charles Fourier. D’innombrables ouvrages ont été publiés analysant l’essentiel de son génie à travers sa vie, ses réalisations, ses théories, ses réussites et ses échecs.

Le Corbusier, La planète comme chantier - Jean-Louis Cohen (Auteur) - avril 2015 - Beau livre (cartonné)

C’est à l’occasion du cinquantenaire de la mort de l’architecte que les éditions Textuel publient une nouvelle biographie sous la forme d’un portrait illustré de l’artiste. Parcours passionné et passionnant écrit par Jean-Louis Cohen, historien de l’architecture et de l’urbanisme, qui propose un ouvrage riche de « 240 citations ». Cheminement créatif décrit comme un itinéraire international d’où le titre « La planète comme chantier ». Un point de vue qui permet à l’auteur d’élever l’œuvre, à un niveau au dessus du commun, d’un être décrit à travers sa passion pour les théories d’avant-garde chargées d’émotion et de « sociabilité intense ». Passion d’un urbaniste qui voulait raser une bonne partie du Marais et du quartier Saint-Paul, alors insalubres pour y construire 18 tours de bureaux de 200 mètres de haut face à l’île Saint-Louis (plan Voisin de 1925). Presque un siècle plus tard Paris aura sa tour « Triangle ».

Comme tous les utopistes, Le Corbusier voulait créer une réalité idéale et sans défaut pour une communauté d’individus vivant heureux et en harmonie dans des « machines à habiter », souvent décrites, quelques fois réalisées. Ils voulaient tous faire le bonheur d’êtres humains qui ne leur demandaient pas tant.

Le Corbusier, théoricien d’une avant-garde qui rejette les apports du passé et les traditions anciennes avec leurs courbes, leurs fantaisies et leur exubérance, qui évacue aussi les volutes joyeuses de l’Art nouveau pour les remplacer par le dogme de la ligne droite et l’angle aigu. Une nouvelle esthétique que doit accepter l’homme nouveau soumis à l’ordre supérieur, considéré comme un être qui n’a que des besoins limités identiques dans tous les pays, « les hommes étant tous faits dans le même moule ». Exit la civilisation et la diversité. En route pour la « ville radieuse ».

Le pavillon suisse de la Cité Internationale Universitaire de Paris est l’une des réalisations les plus marquantes de Le Corbusier dans l’entre-deux-guerres. Le pavillon suisse permit à son concepteur d’expérimenter certains de ses principes d’architecture et d’urbanisme et d’appliquer plus tard ses théories au logement collectif. Ils ont été publiés en 1927 sous le titre Les cinq points d’une nouvelle architecture, et forment un résumé des idées architecturales, développées au cours des années précédentes.

Ces cinq points sont : les pilotis (rez-de-chaussée transformé en un espace dégagé) ; le toit terrasse (précédemment nommé toit-jardin) ; le plan libre (suppression des murs porteurs autorisée par les structures de type poteaux-dalles en acier ou en béton armé), la façade en bandeau (rendue possible par les structures poteaux) ; la fenêtre en bandeau (elle, aussi, rendue possible par les structures poteaux) ; la façade libre (poteaux en retrait des façades, murs légers indépendants de la structure).

Mais gare aux utopies. « Béton. Parallélépipède posé sur des pilotis. Et décrochage incurvé. Le pavillon correspond au "purisme", étendard dogmatique de Le Corbusier : simplicité des formes, organisation, rigueur. Et à sa définition de l’architecture moderne, selon cinq points : plan libre pour l’accueil, façade libre en mur-rideau, fenêtres en longueur, toit-jardin et double rangée de pilotis dégageant le rez-de-chaussée. Et l’homme dans tout ça ? Peu à peu, l’utopie va grandir. Il va considérer qu’il y a un homme moderne et un homme ancien. Et que l’architecte peut faire naître l’homme moderne à travers la ville moderne. »

La villa Savoye fait partie des « villas blanches », dont elle est une réalisation emblématique, construite à Poissy au début des années 1930. Ces « unités d’habitation » sont l’aboutissement des recherches formelles et la mise en œuvre systématique de sa théorie des cinq points de l’architecture nouvelle. On y retrouve progressivement élaboré le concept de « promenade architecturale » : « On entre : le spectacle architectural s’offre de suite au regard ; on suit un itinéraire et les perspectives se développent avec une grande variété ; on joue avec l’afflux de la lumière éclairant les murs ou créant des pénombres. Les baies ouvrent des perspectives sur l’extérieur où l’on retrouve l’unité architecturale. »

L’auteur de Le Corbusier, une planète comme chantier, Jean-Louis Corben, a pu inscrire la trajectoire de l’architecte dans la chronique sociale mais en a-t-il été jusqu’à inscrire l’homme et ses idées dans la chronique historique de son époque ? « Le Corbusier commence les années 1930 plutôt à droite et les finit clairement à gauche », écrit l’auteur page 133. En effet, encensé par ses pairs, il affirme à plusieurs reprises son admiration pour les régimes forts car leur sens de l’ordre est en conformité avec son tempérament. C’est sa manière de rêver l’avenir, ainsi qu’il l’écrit en 1937 : « Créer une race solide et belle, saine. »

Mais après avoir tenté, pendant la guerre, de vendre ses idées au gouvernement de Vichy, il se rapproche du parti communiste qui manifeste le même goût de l’ordre que ses prédécesseurs fascistes. En 1947, il écrit à ses nouveaux amis syndicalistes de la CGT : « Je fais chaque jour ma part dans la révolution machiniste... mais il faut enseigner à vos gens la discipline nécessaire ».

Architecte iconoclaste devenu théoricien de la « ville radieuse », avant-gardiste directif et pourtant humaniste, Le Corbusier a montré à travers ses projets de villes nouvelles, jamais pleinement réalisés, qu’il s’est inscrit dans la longue lignée des utopistes contrariés. N’a-t-il pas écrit cette affirmation qui interpelle : « Mon devoir à moi, ma recherche, c’est d’essayer de mettre cet homme d’aujourd’hui hors du malheur, hors de la catastrophe ; de le mettre dans le bonheur, dans la joie quotidienne de l’harmonie.1 »

Ce dimanche 10 juillet 2016

l’Unesco a classé dix-sept réalisations de l’architecte

franco-suisse Le Corbusier au Patrimoine mondial

EN FRANCE

1923 – Maisons La Roche-Jeanneret à Paris (75)

1924 – Cité Frugès à Pessac (33)

1928 - Villa Savoye à Poissy (78)

1931 – Immeuble locatif à la porte Molitor à Boulogne-Billancourt (92)

1945 – La cité radieuse à Marseille (13)

1946 - Usine Duval à Saint-Dié (88)

1951 – Cabanon à Roquebrune-Cap-Martin (06)

1953 – Couvent Sainte-Marie de la Tourette à Evreux (27)

1955 – Notre-Dame du Haut à Ronchamp (70)

1955 - Maison de la Culture à Firminy (42)

A L’ETRANGER

1923 – Villa Le Lac à Corseaux en Suisse

1926 – Maison Guiette à Anvers en Belgique

1927 – Maison de la Weissenhof-Siedlung à Stuttgart en Allemagne

1930 – Immeuble Clarté à Genève en Suisse

1949 – Maison du docteur Carutchet à La Plata en Argentine

1951 - Capitole à Chandigarh en Inde

1954 – Musée d’Art occidental à Tokyo au Japon

Post-scriptum

(1) Textes d’après le catalogue "Le Corbusier - Le mural de la Fondation suisse - Paris 1948"