Le 13 février à la Maison des syndicats de Cergy-Pontoise, François Ruffin, l’étoile montante de la gauche française, a critiqué le système actuel qui façonne le travail (précaire et sans aucun sens). Pour lui il est essentiel de remettre la valeur travail au centre du débat politique français pour aboutir à un travail émancipateur de la société française .
Devant une salle comble, la CGT du Val-d’Oise a accueilli le député de la Somme, M. François Ruffin pour donner une conférence autour de son livre récent, « Le Mal-travail, le choix des élites » (1) D’emblée, le député de la Somme, a mis à l’aise l’auditoire en expliquant que, malgré la situation dégradée du monde du travail, il faut s’organiser et se syndiquer ; ce qui a fait plaisir la tribune de syndicalistes (pompiers, fonctionnaires des hôpitaux et de l’Education nationale…).
La question du travail est immense mais le champ de réflexion du député de la Somme a été encadré par les mutations de ces quatre dernières décennies. Le travail est passé d’une valeur et d’une passion, utiles pour une société, à un coût, une sorte de variable d’ajustement qui permet à l’idéologie dominante, celle de l’école de Chicago, de calculer, de marchandiser et réduire le coût de travail dans la formation de la richesse nationale, voire mondiale. Des concepts clefs comme la compétition, la concurrence effrénée ont accompagné le mouvement inexorable vers une mondialisation heureuse pour une élite (la jet set society) qui a rendu le travail malheureux pour la majorité des Français.
Le personnel de l’Education nationale subit une mal-traitance constante et il est mal payé ; des pompiers, des policiers, des personnel hospitalier ne semblent plus être en phase avec l’encadrement « comptable » de nos élites. « La direction ne connaît plus le terrain » a expliqué un agent hospitalier. C’est pire pour le travailleur dans la sphère marchande : les accidents (et morts) au travail, les inaptitudes au travail, les maladies liées au stress diabolique de la cadence dans les secteurs de la logistique et de la prestation de soins à la personne (secteur en forte croissance dernièrement) caractérisent « le mal-travail ». Pour F. Ruffin, « la cause des maux au travail est l’ultra-libéralisme » adopté par nos élites depuis les années 1980.
Ainsi, on est arrivé au sommet du non sens ; les entreprises, suivant les firmes multinationales, se séparent de leur « coût » lié au personnel en mettant en oeuvre des délocalisation (pour trouver le coût salariale le moins cher et les plus malléable). On licencie en masse pour faire grossir les dividendes. D’une manière emblématique, M. Ruffin a évoqué le souhait d’un ancien PDG d’Alcatel qui voulait « une usine sans travailleurs ». Le must pour une élite déconnecté au terrain et sans ancrage territorial. Pour cette élite, de Bangkog, ou de Singapour à New-York, en passant par Paris, le coût-travail permet de jouer dans un grand casino mondial où la coercition sur les travailleurs en minimisant le minimum légal et le chantage pour la création des emplois prédominent.
Dans une comparaison internationale, les accidents du travail, les maladies au travail, des cas d’anxiété et d’inaptitude ont augmenté notamment en France… qui est au podium dans presque toutes ces catégories. En outre, la délocalisation, « c’est la recherche du mal-travail ailleurs » a‑t-il souligné. Le recours à la sous-traitance, le remplacement des métiers par des bouts de « boulots de merde » (voir le concept de Bull-shit jobs de David Graeber), les cadences infernales ont conduit à « déstabiliser la société » en semant le chaos et la peur « de la fin du mois ». En somme, en quarante ans, « le travail est devenu un coût » (au sens matière première) abandonnant le précepte que le travail crée de la valeur et de la richesse de la Nation.
Mais, la machine est grippée selon l’analyse du député de la Somme. Trois enjeux – démographique, climatique et politique – ont changé la donne depuis la COVID. « Le marché ne marche plus ! » a développé le député. La classe laborieuse se réduit en termes de nombre ; les taux de natalité ont baissé dans tous les pays industrialisés. « L’Etat, les entreprises ont cassé le collectif, » a‑t-il conclu le député Ruffin. En outre, les invisibles (les CDD, les intérimaires, les sans papiers…) sont devenus incontournables au service de la population, mais la crise Covid les a rendu visibles. Par conséquent, ils demandent un juste salaire.
Pour lui, des mesures s’imposent à court et à moyen terme. Contrairement à la poussée ultra-libérale, une certaine réglementation s’impose pour réduire les inégalités dans les salaires et pour une saine répartition de la valeur engendrée par l’économie : le 0,1 % doit cesser de se gaver au détriment de la majorité des Français. En plus, il a martelé l’urgence de mettre trois mesures phare : un protectionisme mesuré pour contrer les produits à bas coût et à fort impact environnemental ; l’indexation des salariés sur l’inflation (et pourquoi pas sur les dividendes !), l’imposition des plus riches (instituer l’ISF par exemple). « Le gavage doit cesser » a‑t-il souligné. Le pays doit débattre, à nouveau comme en 1936 et 1945, sur des questions de fond : comment produire, quoi produire et comme répartir la valeur ajoutée… sans tomber dans les affres de l’économie administrée.
En conclusion, les enjeux du moment conduisent à prendre des mesures fortes pour permettre aux Français de « vivre de son travail, et bien le vivre ». Un chantier titanesque pour un seul député mais qui manie une éloquance verbale, qui fera probablement bouger les lignes politiques d’une gauche désorientée.
Citation :
« Voilà ce qui les anime : la fierté du travail bien fait, le sentiment d’utilité. Même chez les travailleuses, les travailleurs, aujourd’hui remplis de dégoût, abattus, découragés, il faut encore entendre cette musique, en sourdine : leur fierté d’hier, leur utilité perdue, et cette perte fait toute leur douleur. Et l’espoir, toujours, de retrouver utilité et fierté : se réaliser en réalisant. »
Note :
1. « Mal-travail, le choix des élites », 2024, Editeur, Les liens qui libèrent, 221 pages, 15 euros.
Pour en savoir plus :
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