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Publié : 3 juin 2011

Révolutions ?

Les leçons du « printemps arabe »

Avec les soulèvements qui, partis de Tunisie et d’Égypte, ont gagné d’autres pays arabes, peut-on espérer que la deuxième décennie du XXIe s. autorise plus d’optimisme que les dix dernières années du siècle précédent et les dix premières de l’actuel ? En 1989-1990, l’émancipation des prétendues « démocraties populaires », l’effondrement de l’Union soviétique, le règlement du conflit Irak-Iran et la fin du régime d’apartheid en Afrique du Sud laissaient augurer le triomphe de la liberté et de la justice à travers le monde.

Il n’en fut rien, bien au contraire : nous avons assisté à 20 années de régression dans la sauvagerie, à deux décennies où les progrès de la démocratie en Amérique latine ne pouvaient occulter l’enracinement des dictatures (Syrie, Iran, Birmanie...), l’oppression de minorités ou de micro-États par des régimes hégémoniques (Tibet, Caucase, Palestine, Sri Lanka, Soudan...), le retour de conflits armés mobilisant les techniques de destruction les plus avancées (guerre du Golfe, guerre d’Afghanistan, guerre d’Irak...), le réveil des affrontements religieux (Sous-continent indien, Proche-Orient...) et, surtout, le retour des génocides du fait de la Serbie en Bosnie-Herzégovine (Srebrenica) et du gouvernement hutu au Rwanda.

L’histoire prend-elle en ce moment une nouvelle direction ? On aimerait le croire dans le contexte présent, marqué en France par le succès du manifeste Indignez-vous ! de Stéphane Hessel et, surtout, par la contestation des « Indignés » espagnols qui s’élèvent contre le chômage, la précarité, la corruption et les dérives de la démocratie. Sans préjuger de l’avenir, on peut relever dès à présent trois points remarquables dans le processus qui se développe sur les rives méridionale et orientale de la Méditerranée.

À Benghazi, Sanaa ou Damas comme à Tunis ou au Caire, c’est au départ un peuple « à mains nues » qui, par sa seule protestation non violente mais massive et résolue, s’en est pris à une dictature corrompue et prédatrice, servie par une police omniprésente, une justice aux ordres et des médias sous contrôle. Quelle leçon de courage, sachant que dans tous les pays, fût-ce dans des proportions inégales, tués et blessés ne se comptent plus !

Ensuite, la cause pour laquelle ces femmes et ces hommes, souvent très jeunes, ont risqué leur vie, c’est celle qui a entraîné les révolutionnaires de 1789 en France, leurs successeurs du « Printemps des peuples » qui a traversé l’Europe de 1848, ou ceux qui ont affronté les blindés soviétiques à Berlin-Est, Budapest ou Prague pendant la « guerre froide » ; c’est aussi celle des prédécesseurs des soulèvements actuels qui ont arraché l’indépendance à la puissance coloniale : c’est la cause de la liberté, de l’égalité et de la dignité. Il y a là une éclatante confirmation de l’universalité des droits de l’homme, n’en déplaise aux potentats du Tiers monde qui s’efforcent de les discréditer comme une exportation des pays riches ou aux conservateurs de tous bords qui considèrent la démocratie comme une spécialité réservée à ces mêmes pays.

Autre leçon des insurrections actuelles : le rejet des dictatures et la revendication de démocratie se situent sur un terrain qu’en France on qualifierait de « laïque ». Le mouvement auquel nous assistons ne mêle aucunement la religion à la lutte politique : il ignore le programme des islamistes. C’est d’autant plus remarquable que l’orthodoxie musulmane prône une société « holiste », un modèle d’organisation qui confère au religieux le contrôle du politique, du juridique et du social. On vérifie ce que les observateurs du monde musulman notent depuis plusieurs années : la génération actuelle, plus informée et plus individualiste, est «  post-islamiste  » ; c’est foncièrement la même insurrection qui s’est dressée en 2009 contre le régime islamique d’Ahmadinejad, en 2011 contre les régimes anti-islamistes de Ben Ali, Moubarak, Kadhafi ou El-Assad1.

Les suites durables du mouvement ne se dessinent pas encore avec précision et ne seront peut-être pas les mêmes dans les différents pays. Nous savons que rien n’est plus difficile que de réussir une révolution, de passer d’un système autocratique à une démocratie apaisée. Dans l’immédiat cependant, compte tenu aussi des événements survenus en Côte d’Ivoire, quel superbe pied de nez au discours de Dakar (26 juillet 2007), dans lequel M. Sarkozy prétendait que « l’homme africain (n’était) pas assez entré dans l’Histoire  » ! Ne seraient-ce pas plutôt nos dirigeants actuels - et leurs devanciers - qui ont manqué le train de l’histoire en soutenant de bout en bout des dictatures honnies par les citoyens ?

par André Metzger

Post-scriptum

1. Voir sur ce point une analyse bien documentée d’Olivier Roy dans Le Monde des 13/14 février 2011, intitulée : « Révolutions post-islamistes ».