Les NOUVELLES Des Mureaux Seine&Vexin

Il suffit d’écouter les nouvelles à la radio ou à la télévision pour se rendre compte que le monde n’est plus philosophe. Chacun suit un dogma, et ne veut plus écouter l’autre. En renonçant à se parler, à dialoguer, le monde prendre une tournure difficile, voire violent.

Pour contrer ces tendances contemporaines, Jean-François Ganivet, animateur bénévole à l’université populaire de Poissy et à la Péniche de Triel, a concocté une randonnée philosophique en quatre étapes. Le samedi 19 octobre, une quinzaine de personnes se sont donné rendez-vous à la Péniche pour évoquer la nécessité (vraiment !) de philosopher et de présenter la saison philo 20204–2025. Au total il y aura sept séances dont quatre à la Péniche de Triel et les trois autres à Poissy.(1)
En s’appuyant sur des écrits de Claude Lévi-Strauss, de René de Chateaubriand, d’Edgar Morin, de Raymond Aron, de Raphaël Enthoven, et de Coluche parmi autres, Jean-François a brillamment exposé le sens de l’acte de philosopher : il s’agirait de garder un équilibre entre la pensée et l’action tout en regardant les enjeux contemporaines du monde dans lequel on vit. Ainsi, c’est aussi une manière de critiquer les abstractions, les dogmas et la critique esthétique… En somme, chaque pensée qui provient d’un certain échange avec ses paires pour en discuter et ainsi définir une sorte de pensée commune (relative pour la période vécue). Par la suite, cet ensemble de pensées permettraient d’agir convenablement tout en sachant que cela peut aboutir à un échec ou à une impasse.

Pour illustrer ces propos M. Ganivet a expliqué « La lettre de Platon » et son amère constatation d’échec après avoir tenté de bâtir une république juste et parfaite ; il a également lu et relu les écrits de Lévi-Strauss, anthropologue et d’Alexandre Lacroix, philosophe, pour élargir le champ d’analyse et de réflexion sans oublier l’action ultérieure. En particulier, les mots de Lacroix sont poignants : « Les mots sont de faibles auxiliaires manquant de consistance : pourquoi faudrait-il les pétrifier ? Le danger de l’écriture, c’est qu’elle puisse tuer la parole, qu’elle sa vitalité intrinsèque.… » Ainsi, il faut également de la place à l’orale qui est indispensable pour l’émergence de la pensée (individuelle et puis collective).

Mais il faut quelques règles sinon on tombe dans le piège expliqué par Coluche : « Quand on voit ce qu’on voit et qu’on entend ce qu’on entend, on a raison de penser ce qu’on pense ». A quelles règles fait on allusion… Justement à la règle d’échanger, de méditer et de dialoguer entre un groupe de compagnons de la philosophie. Voilà le résultat de la rando-philo du 19 octobre.

A la fin de ce périple dans les hauts de Triel-sur-Seine, mise à part cette méditation philosophique(2) qui a culminé à l’église Saint-Martin, la (re)découverte du patrimoine littéraire (maison de la maîtresse de Zola et la maison d’Octve Mirbeau), a énormément plu le public présent à cette randonnée de rentrée pour les organisateurs, l’université populaire de Poissy et la Péniche Arche Espérance de Triel-sur-Seine.

Notes

1. Deux sujets ont déjà été fixés pour la rentrée : “La part du jeu chez l’humain” à la Péniche de Triel, la date sera le 15 novembre 2024 ; “les solitudes contemporaines dans le monde moderne” au café Zinc de Poissy.
2. Voici l’ensemble de textes commentés par Jean-François Ganivet.

Rando-Philo (samedi 19 Octobre, Rdv 15.30, Péniche de Triel sur Seine)
Textes commentés par Jean-François Ganivet
Quelques textes que je me propose de lire et commenter lors des petites pauses de notre balade. Vos réflexions seront, bien sûr, les bienvenues. Merci, par avance, à tous ceux qui peuvent imprimer ce document.
Il n’est pas certain que je lise tous les textes ni que je respecte leur ordre, d’où un numérotage pour mieux se repérer.
PAUSE 1 (A quoi bon philosopher ? intérêt, limites des cours, cafés-philo, et autres conversations …).
1 Il s’agit de l’enseignement traditionnel de la philosophie, avec « sa charpente dialectique » que l’auteur reçut, avec dépit, avant guerre : « La méthode fournit non seulement un passe-partout mais invite parmi les thèmes de réflexion à n’apercevoir qu’une forme unique, toujours semblable …. La philosophie n’était pas la servante et l’auxiliaire de l’exploration scientifique, mais une sorte de contemplation esthétique de la conscience par elle-même. ».
Claude Lévi-Strauss, anthropologue, ethnologue (tristes tropiques, 1955).
2 « Pendant longtemps , philosophes , savants , n’ont eu de cesse de séparer les différentes parties de l’appareil psychique ( imagination , volonté , inconscient , mémoire , intentionnalité ..) afin de décrire nos opérations mentales. Mais aucune de ces entités n’a de réalité autonome.
Leurs effets se conjuguent et se mêlent dans le moindre fragment : Porosité des influences.
« Quelque part dans l’incertain : Et si, paradoxalement, c’était notre incapacité à trouver la solution à l’ENIGME de l’UNIVERS et de ka VIE qui était notre meilleure boussole, notre protection la plus efficace contre les dogmes et les illusions consolatrices, contre ce bric à brac d’opinions fausses qui pullulent sur le marché de l’angoisse ».
Alexandre Lacroix, philosophe (comment vivre lorsqu’on ne croit en rien ? 2014).
3 « Les mots sont de faibles auxiliaires manquant de consistance : pourquoi faudrait-il les pétrifier ? Le danger de l’écriture, c’est qu’elle puisse tuer la parole, qu’elle assèche sa vitalité intrinsèque … La philosophie s’échine à convoiter une sagesse qui se montre de loin … Le scepticisme nous contraint à revenir en arrière pour démonter ce que nous jugions établi …
Se frayer des chemins de pensée au milieu de l’épaisseur du doute ». Exemples donnés par l’auteur : « Ne pas faire parler un monde qui se tait ; ne jamais être dupe de son époque, de sa culture, de son identité ; philosopher sans mentir sur sa fragilité ; philosopher, insoumis aux mirages des idées ; prendre le risque de penser sans vouloir faire école …etc. ».
Matthieu Devers, journaliste, romancier, philosophe (Penser contre soi-même, 2024).
PAUSE 2 (Du passé et du présent, de l’Histoire).
4 « Chaque homme porte en lui un monde composé de tout de tout ce qu’il a vu et aimé, et où il rentre sans cesse, alors même qu’il parcourt et semble habiter un monde étranger ».
François — René de Chateaubriand, écrivain, homme politique (voyage en Italie, 1827).
5 « Nul artiste ne réalisera son œuvre, nul général sa victoire , sans les avoir désirées et y avoir aspiré préalablement , dans une semblable condition non historique . Il est injuste envers ce qui est derrière lui et il ne connait qu’un seul droit, le droit de ce qui est prêt à être. Ainsi, tous ceux qui agissent, aiment leur action infiniment plus qu’elle mérite d’être aimée ».
Tandis que : « les hommes historiques regardent en arrière pour comprendre le présent, par la contemplation du passé, pour apprendre à désirer l’avenir avec plus de violence « .
Nietzsche, philosophe (seconde considération intempestive, 1875).
PAUSE 3 : Incertitudes, conflits, replis, difficile de s’entendre … (non impossible !).
6 « Certes l’improbable et surtout l’imprévu peuvent advenir. Nous ne savons pas si la situation mondiale est seulement désespérante ou vraiment désespérée ….. La première et fondamentale résistance est celle de l’esprit. Elle nécessite de résister à l’intimidation de tout mensonge asséné comme vérité, à la contagion de toute ivresse collective ». Edgar Morin, sociologue, essayiste (entretien Le Monde, 23/01/2024).
7 « La vérité a cessé d’être vraie pour devenir tour à tour bonne ou mauvaise selon qu’elle corresponde (ou non) au discours qu’on tient : par une prodigieuse inversion des priorités, les faits sont sommés de se soumettre à nos souhaits, sous peine d’être répudiés ».
Raphaël Enthoven, journaliste, philosophe (morales provisoires, 2018).
8 « Me détacher de l’actuel sans pourtant me contenter du rôle de spectateur ».
Raymond Aron, sociologue, politologue, essayiste (entretiens, 1981).
9 « Être capable de trouver sa joie dans la joie de l’autre, voila le secret du bonheur ».
Bruno Jeudy, jounaliste, essayiste (éditorial Tribune du Dimanche, 4/8/2024, cf : J.O).
PAUSE 4 La morale en questions ….
10 « Le « trucage du sermon » consiste en un double déni : d’une part qu’on formule les devoirs d’un autre (Kant, Dieu, Karl Marx, …) , ce n’est pas nous qui parlons et pensons ; d’autre part , prétendre formuler une loi inconditionnelle du devoir sans préciser les conditions de validité de cette formulation » .
Maxime Rovere, écrivain, philosophe (que faire des cons ? Et ne pas … soi même ? 2019).
11 « Quand on voit c qu’on voit et qu’on entend ce qu’on entend, on a raison de penser ce qu’on pense »
Coluche, artiste, comique (d’après Pierre Dac).
PAUSE 5 : Nos places …
12 « Désormais, nous sommes tous des orphelins de lieux » .
Alexandre Lacroix, philosophe (apprendre à voir les paysages du 21ème siècle, 2024). .
13 « Doc changeait malgré lui, malgré les prières de ses amis, malgré sa propre conduite. Et pourquoi pas ? Les hommes changent et le changement arrive comme un vent léger qui gonfle un rideau, comme un parfum subtil de fleurs sauvages ». John Steinbeck, romancier (tendre jeudi, 1952).
14 « La nouvelle tour de Babel : les mythes ont beau être très vieux, ils restent actuels. En particulier celui de la tour de Babel, non seulement parce qu’il parle du projet humain de monter au ciel, mais parce qu’il commence par raconter que devant l’inconnu de son histoire, l’humanité est saisie de peur.
D’où un réflexe grégaire, celui d’être tous ensemble, parlant une même langue …. Le numérique et les algorithmes sont à bien des égards, des outils remarquables … Pourtant la vie ne se réduit pas à ce qui est représentable par le calcul et ses machines ».
Jean François Bouthors, éditeur, journaliste, écrivain (éditorial Ouest France, 30/08/2024).