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Publié : 28 mars 2010

Alain Rey : « La langue française à un message universel »

Alain Rey à l'Université de Cergy-Pontoise.

Dans le cadre du colloque international « Dictionnaires et francophonie » à l’Université de Cergy-Pontoise, le 26 mars, nous avons interviewé Alain Rey, auteur de « Mille ans de langue française, histoire d’une passion » (Ed. Perrin, 2007) et linguiste reconnu de par le monde entière.

Rodrigo Acosta.- : Quel est le sens de ce thématique dans le cadre de ce colloque international à Cergy ?

Alain Rey.- : C’est très important de s’interroger sur le statut de la langue française car ce sujet, comme d’autres tels l’Etat, la Nation, la psychologie collective, a été mal abordé. En effet, la problématique interfère avec des sujets évoqués mal abordés ailleurs qu’ici, selon moi. Prenons l’exemple de la manière dont la langue française interagit avec d’autres langues : Toutes les langues devraient tendre vers des idées universelles pour assurer un véritable humanisme. C’est donc nécessaire que chaque langue avec sa spécificité et ses qualités agisse pour une compréhension de l’ensemble des problèmes humains. Dans l’Histoire, ce phénomène a été vécu d’une manière variable : Dans la Grèce de l’Antiquité, où les gens réfléchirent pour forger la Philosophie comme science, tout ce qui n’était pas Hellénique était considéré comme « Barbare ». C’était une mauvaise attitude. Aujourd’hui, on est contraint de penser en termes Universels à travers la multiplicité de langues. Il existe le mythe biblique de la Tour de Babel mais de nombreux langues dans le monde peuvent se traduire facilement et de nombreux témoins (bilingue, trilingue ou plurilangue), dans une langue ou un autre, choisissent de s’exprimer et de communiquer sur des concepts et de principes universels. Je crois beaucoup aux vertus du bilinguisme. Il faut accepter l’idée qu’une langue n’est pas la propriété d’un peuple. Une langue n’est pas réservée à un pays ou à un Etat. La langue traduit une certaine vision du monde ; et cette vision peut être partagée : c’est le cas de langue anglaise, de la langue espagnole et le Français.

Chaque langue a une littérature, une histoire, une expression collective. Les autres langues, même celle parlée par dix personnes, sont aussi magnifiques. Mais cette dernière est vouée à reculer ou à disparaître si elle ne s’étend pas.

Dans le cas du Français, et notamment par rapport à ce colloque international, parler d’une langue en péril (parce qu’elle est parlé moins que l’Anglais par exemple) me paraît une très mauvaise façon d’aborder la question. La question est de savoir si le Français garde des atouts et surtout des vertus. Enfin, si la langue française est capable d’exprimer des idées universelles. Précisément, comme beaucoup d’écrivains et de penseurs, choisissent le Français à un moment ou à un autre de leurs carrières, cela prouve que le Français a des possibilités d’expression et de communication. Le Français s’inscrit dans l’histoire de la littérature... La langue française a les capacités d’être apprise, maîtrisée et employée de manière humaniste. C’est-à-dire universelle.

R.A.- : Quel est le rôle de mots face à cette vague, voire tsunami, d’images qui nous envahissent quotidiennement ?

A.R.- : Depuis la pré-histoire, on connaît le rôle symbolique d’images. Puis, cette dernière est devenue plus universelle lorsque la reproduction a été rendue possible. C’est grâce à la Révolution industrielle du 19e siècle. Avec la Révolution technologique de nos jours (internet, l’animation des images...) l’image vivante est devenue fondamentale. Mais, il faut se rappeler d’un point très important : l’image représente un aspect de la réalité, une partie -un particularisme- du phénomène de la réalité. Alors que le mot est capable d’aller vers l’Universel par le concept. Et si l’on a une image d’un chanteur, elle ne vous n’explique pas sur la nature du mot chanteur par rapport à un type de chanteur, slameur, humoriste, un Jazzman...

R.A.- : A vous entendre, il y a un avenir pour les mots ?

A.R.- : Effectivement, il y a un avenir obligatoire pour les mots car on ne peut pas imaginer une humanité muette entourée d’images... Cela serait un recul considérable à un état quasiment bestial. Parce qu’on aurait accès uniquement aux phénomènes et on n’aurait aucun moyen de les penser et de les mettre en rapport entre eux. Faire communiquer de phénomènes, d’images est possible avec de mots. Une image sans mots n’est pas une image complète. On constate, à la Télé, sur internet... qu’une image complète est accompagnée des commentaires, des dialogues... Imaginons un dictionnaire avec des images uniquement ; on ne saura pas le mettre en relation entre elles... Ce n’est pas envisageable. Au moins que l’on regarde uniquement pour le plaisir de les regarder. L’image est dans un univers qui comparable à celui de la musique : on ne peut l’expliquer que par les mots ; tout passe par le langage !

R.A.- : Quel est le sens de votre démarche d’écrivain, de penseur ici dans un milieu universitaire ? Est-vous un passeur de mots pour les générations futures ?

A.R.- : Il faut donner une idée réelle des problèmes de la langue, dans le cas d’espèce le Français ; il faut passer par un public plus large et jeune qui réfléchit constamment. Où sont ces jeunes qui réfléchissent ? Dans les grandes écoles et dans les universités. J’ai fait de l’enseignement avant et j’a été convié à donner des conférences comme professeur-invité aux Etats-Unis et au Canada. La transmission de connaissances et de savoirs doit être soutenue par des institutions. Il existe une filière universitaire, des grandes écoles. Là où ces établissements se portent bien, il est clair que le savoir passe et se diffuse chez les gens qui ont moins de vingt-deux ans. Le savoir de l’avenir sera pensé par des jeunes entre dix-huit et vingt-deux ans. Et non pas par ceux, comme moi, qui sont très vieux !

R.A.- : Après treize ans de France-Inter, vous vous occupez comment ?

A.R.- : Parfois, je fais des chroniques, pas régulièrement. Vous pouvez me trouver sur quelques sites qui repassent mes chroniques. Cependant, on peut me lire car je continue à écrire : je préfère m’exprimer par l’écrit car cela reste plus long temps. Comme dit, le vieux dicton : « Les paroles volent et les écrits restent !  »

Post scriptum :

Organisé par l’Institut de linguistique française à Cergy-Pontoise-Paris 13, ce colloque scientifique est gratuit. Dans le cadre de la semaine de la langue française et de la francophonie, la « Journée des dictionnaires » instaurée en 1993, constitue une rendez-vous international annuel des chercheurs et des lexicographes dans le domaine des dictionnaires de langue française. Ce sont entre 300 et 400 personnes qui se sont rassemblées le 26 mars à l’amphithéâtre Pierre Larousse.

Jean Prouvost, directeur du laboratoire LDI Cergy, est le orfèvre de cette journée des dictionnaires. Il dirige depuis 2009 la revue international Etudes de linguistique appliquée et par ailleurs consacre son temps en tant que directeur éditorial des éditions Honoré Champion.